Celui qui n’était pas libre de répondre à mes désirs (4) Les Confessions, suite.

Deux semaines plus tard, on est déjà mi-octobre, l’homme marié me croise sur MSN et nous engageons la conversation comme deux vieux amis. Je lui demande des nouvelles de son couple. Aucune réconciliation, mais pas de réelle séparation. Une « paix armée » dira-t-il un autre jour. La conversation est facile, il ne cherche plus désormais à me « divertir » et à m’impressionner à tout prix et une petite complicité s’installe. Au bout d’une heure et demi, il évoque de nouveau le désir de me rencontrer: je lui avoue m’être « dégonflée » à ce propos, et je lui explique pourquoi.

MOI - tu comprends, je ne veux pas être impliquée dans tes histoires, même de loin
LUI - pas de souci, c’est par rapport à moi, j’aurai bien aimé que tu me voies sous mon vrai jour, indépendamment du contexte, tu vois, c’est totalement ridicule vu que tu es de fait une inconnue, mais l’opinion que tu as de moi m’importe ; orgueil mal placé sans doute
MOI - je ne comprends pas tellement effectivement qu’as tu à me montrer à moi? vraiment je ne comprends pas ; tu vois bien que tu as une image de moi totalement fabriquée par des fantasmes ; c’est que du virtuel
LUI - juste, mais ce n’est plus du tout ni physique, ni sexuel, c’est juste de la curiosité vis à vis d’une discussion a un instant t qui était très vraie et importante pour moi
MOI- dénégation: comment ça pourrait être physique si tu ne m’as jamais vue ? (….) je n’ai pas envie de savoir ce qui se passe si on se voit (….) même si comme tu le sais, les chances qu’il se passe un truc sont minimes
LUI - le minime est flatteur, même si et je pense que tu le sais, je ne l’envisage même pas
MOI- ah non que les choses soient claires ; il ne se passerait rien bien entendu puisque je l’ai dit ; mais après on se fait quand même des idées
(…)
LUI - mmm, ça par contre ça me vexe un peu, je n’ai plus quinze ans quand même ; je comprends que tu ne veuille pas me voir
MOI- pourquoi dis-tu je n’ai plus 15 ans ; je parle de mes réactions, pas des tiennes
LUI - les idées après une rencontre, quand les choses sont claires elle sont claires
MOI- non, elles ne sont jamais claires voyons
LUI- réagissant à mon avant-dernière remarque – ooops pardon je n’y étais pas
MOI - A la limite que tu aies envie de me sauter ne serait pas un problème ; sauf si moi aussi j’en ai envie ; et donc je ne veux prendre aucun risque ; tu vois c’est le principe de précaution
(…)
LUI- je te refais la proposition avec le jugement du tribunal en scan Pdf d’ici quelques mois
MOI- pff; ça ne changerait rien (…) je vais te décevoir: je crois que tu seras toujours une galère que je ne veux pas approcher
(….)
LUI - une galère assez potentiellement commestible pour qu’on la tienne à l’écart, ça me convient tout à fait, j’ai besoin de me reconstruire mon estime de moi

Ah j’étais bien raisonnable, bien déterminée à cet instant à ne pas me laisser piéger et doucement porter vers cette rencontre que je voulais prudemment éviter. Mais je sentais déjà qu’il m’en coûtait, que j’aurais du mal à m’y tenir, parce que sa conversation était agréable, surtout dans cette période de vaches maigres meeticiennes. Et puis patatras, vers la fin de cette conversation, il m’a touchée ou, pour être exacte, je me suis touchée moi-même. Un lecteur attentif se rappellera que je suis sensible à la façon dont les hommes traitent mon chat, et qu’en général j’aime les hommes qui aiment les chats. Donc vers la fin de cette conversation MSN, je montre en miniature la photo de mon chat pour une raison annexe. Et l’homme marié m’explique qu’il aime les chats, comme les « amoureux fervents et les savants austères ».
J’enchaîne :

Aiment également dans leur mûre saison
les chats puissants et doux
orgueil de la maison
qui comme eux sont frileux
et comme eux sédentaires

J’ai coupé en deux les alexandrins, mais c’est comme cela que je l’ai tapé sur MSN. Cette typographie m’a parue plus belle, et elle m’a aidée à comprendre, pour la première fois, que ce poème parle de moi ! Je suis heureuse que mon lecteur m’y ait aidé involontairement et lui me remercie pour « ce moment ». A partir de cet instant, j’ai envie de le rencontrer, et je ne peux plus retourner en arrière. Le lendemain, je lui écris un mail que je n’envoie pas immédiatement. Ce soir-là, j’ai revu un amant avec lequel les choses ont tourné au vinaigre, et j’ai sans doute comparé cet homme marié (sans le connaître toutefois) avec celui que j’avais en face de moi, qui me décevait, et que je décevais aussi.
A ce moment-là j’étais désenchantée des rencontres, entrecoupées de vide, que je faisais, et je mûrissais le post que j’avais décidé d’appeler Ich bin ein trentenaire célibataire parisien. Je commençais sérieusement à me demander si la vie de couple à laquelle je croyais aspirer était faite pour moi. Alors que me restait-il ? Etait-il prudent de renoncer aux rencontres libertines sous prétexte qu’elles m’éloignaient de mon objectif ? J’étais la première à dire qu’elles pouvaient donner lieu à plus. Et quand bien même elles ne donnaient rien, elles avaient tout de même le mérite d’exister !
Dans ce cas, il m’apparaissait plus prudent de saisir les occasions qui s’offraient à moi, sans préjuger de la suite des événements, sans ériger des barrières morales et psychologiques qui faisaient obstacle à mes envies. Il n’y avait plus vraiment de barrière morale à propos de l’Homme marié : s’il se passait quelque chose avec lui, je n’aurais pas l’impression de le voler à une autre. D’après ce que je savais de son mariage et même si je ne connaissais que sa version à lui, sa femme ne l’aimait plus, ne le touchait plus et le méprisait. Elle avait donc en quelque sorte renoncé à son droit sur lui. De plus, il avait affirmé sa volonté de la quitter, même s’il prenait son temps pour des raisons que je ne peux pas exposer ici.
C’était donc la barrière psychologique qu’il fallait faire sauter. Que voulait dire « principe de précaution » dans la vie amoureuse : dans le doute, ne rien faire par peur de souffrir et de perdre mon temps ? Souffrir, languir, c’est vivre au moins. J’avais envie d’émotions fortes, moi qui les refoule si facilement Agir trop prudemment, c’était me montrer frileuse et sédentaire, et même pas dans ma « mûre saison ».
J’ai donc décidé d’envoyer ma propre confession, et pour la première fois d’exprimer des sentiments positifs, c’est dire qu’il m’en a coûté.

Eh bien voilà, j’ai déjà changé d’avis. Une vraie girouette. J’ai désormais envie de te rencontrer parce que le mal est fait en quelque sorte, et que maintenant je préfère prendre un risque que le regretter plus tard.
Tu vas rire : le déclic est venu au moment où j’ai retrouvé ces vers de Baudelaire que je connais par cœur mais dont je n’avais jamais saisi la beauté. Sans essayer de décortiquer une fois de plus (c’est une façon de tuer la littérature), je ne veux pas être trop frileuse et trop sédentaire.
Or, c’est ce que je choisis d’être en appliquant le principe de précaution dans ma vie amoureuse. Je risque de passer à côté d’émotions à force de les fuir par peur qu’elles me submergent. C’est la première fois que je suis sincère, alors que toi tu l’as été déjà. Tu as dit que l’opinion que j’ai de toi compte à tes yeux. Quel aveu ! Au lieu de m’en réjouir je m’en suis méfiée. Dans mon refus de l’adultère, j’ai peur de passer en second, dans ma peur de te rencontrer, j’ai senti qu’il y avait une certaine peur de tes besoins (tu as besoin de tendresse, n’est-ce pas ?).
Cela ne préfigure en rien la suite des événements, tu t’en doutes. Le passage du virtuel au réel reste casse-gueule de toute façon. Si ça se trouve, on n’aura rien à se dire et on repartira chacun de notre côté !

(A suivre)

4 Responses to “Celui qui n’était pas libre de répondre à mes désirs (4) Les Confessions, suite.”

  1. Babylin Says:

    Oh ne nous fais pas trop languir !
    J’ai hâte de savoir la suite …

  2. Vincent Says:

    C’est vraiment n’importe quoi, et c’est la première fois que je suis autant sur le cul!

    Ta faire faire un virage à 180° en parlant de ton chat et en citant Baudelaire, mais tu es frappadingue…pourtant j’adore aussi les chats.

  3. To0m Taylo0r Says:

    Elle jouait avec sa chatte,
    Et c’était merveille de voir
    La main blanche et la blanche patte
    S’ébattre dans l’ombre du soir.

    Elle cachait - la scélérate ! -
    Sous ses mitaines de fil noir
    Ses meurtriers ongles d’agate,
    Coupants et clairs comme un rasoir.

    L’autre aussi faisait la sucrée
    Et rentrait sa griffe acérée,
    Mais le diable n’y perdait rien…

    Et dans le boudoir où, sonore,
    Tintait son rire aérien
    Brillaient quatre points de phosphore.

    Paul Verlaine.

  4. Jeanchris Says:

    Impatient de connaitre la suite…
    PS : J’adore les chats surtout les vieux matous :) lol

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