Celui qui n’était pas libre de répondre à mes désirs (5) Splendeur …

L’Homme marié m’a répondu le lendemain par un mail qui m’a un peu déçue. Je sentais qu’il n’avait pas saisi toute la portée du mien. Il ne pouvait pas deviner qu’accepter de le voir était presque un revirement pour moi, mais il était si préoccupé de ses propres problèmes qu’il ne s’intéressait pas aux miens.

Tu sais, quand tu as partagé la photo de ton chat, j’ai été touché par cette marque de confiance, je suis convaincu qu’il est très important pour toi et j’ai pensé que ce vers vous allait bien.
Si je peux te rassurer, tu ne risques pas grand chose, je ne ressemble à rien en ce moment, je n’ai repris que 2 kg sur les 6 que j’ai perdu depuis Août et je ne te parle même pas de mes valises…

Non, ce n’était pas une marque de confiance que de montrer mon chat : au contraire c’est ma doublure quand j’élude mon portrait. J’ai trouvé assez triviaux ces détails physiques, alors que pour une fois j’avais parlé d’émotions (mais je suis la première à faire ce genre de remarques pour « abaisser les attentes » avant une rencontre et ainsi moins risquer de décevoir. C’est un des réflexes de ceux qui ont une mince estime d’eux-mêmes).
On a pris rendez-vous un mercredi soir, celui des premières grèves, qui lui avaient donné un prétexte idéal pour passer la nuit à Paris au lieu de se retrouver coincé dans sa banlieue le lendemain. J’avais rangé mon appartement au cas où je l’inviterais pour un dernier verre, mais j’avais exclu l’idée de coucher avec lui ce soir-là, surtout parce que c’est ce que j’avais dit et répété dans notre conversation sur MSN. (Ne me faisant pas confiance, j’ai une technique anti-dérapage qui consiste à laisser un détail qui tue dans mon accoutrement et c’est totalement dissuasif. Inutile de me demander ce que c’est, je n’avouerai pas !)
Ce soir-là, donc, il m’attend à la table d’un restaurant que j’ai choisi, pas très loin de chez moi. Lorsque je le découvre, je suis surprise du décalage très profond avec la façon dont je l’avais imaginé. On le distinguait mal sur la petite photo de MSN, et cela avait donné libre cours à mon imagination, sans que je méfie.. Celui que j’avais imaginé jeune encore m’apparaît totalement ravagé. Un visage qui est loin d’être laid, mais tiré par la fatigue et dont on peine à distinguer les yeux tant ils sont obstrués par des poches assez lourdes. Je ne peux pas m’empêcher de penser que toutes mes hésitations et mes attentes ont été vaines, puisqu’il ne peut me séduire dans cet état. Je comprends maintenant son insistance pour me prévenir de son aspect physique. Je suis déçue et soulagée à la fois.
Ensuite sa voix, souvent trop forte, ne correspond pas à ce que j’avais imaginé, mais comment aurait-il pu en être autrement ? Je l’avais aimée sur mon répondeur pourtant, mais son intonation et ses monologues me font irrésistiblement penser à Serge Gainsbourg. Il parle beaucoup, mange vite. On commande du vin, beaucoup de vin, on fume aussi, un peu trop, ce dont j’ai largement perdu l’habitude. Moi aussi je suis animée et je défends mon temps de parole. Il ne me reste que des bribes de cette soirée agréable mais pas passionnante. Personne ne cherche à séduire, et le seul compliment auquel j’ai droit c’est « tu es charmante » : pas de quoi fouetter un chat.
Quand on quitte le restaurant, il parle de choses qu’il a à régler ce soir-là à Paris (je ne peux pas entrer dans les détails et ils ont peu d’importance). Toujours est-il que je comprends qu’il va me quitter bientôt, je n’ai donc pas à lui proposer de prolonger la soirée. Je lui indique où nos chemins se séparent mais il propose de me raccompagner. C’est inutile mais j’accepte malicieusement : je suis curieuse de savoir s’il tentera quelque chose… sans y croire vraiment et sans m’intéresser outre mesure à l’enjeu. Il me suit jusqu’à la cage d’escalier, et il me fait la « bise », ou plutôt embrasse longuement chacune de mes joues. Il dit qu’il espère savoir encore le faire. Quoi, la bise ? Je suis perplexe, et le temps que je reprenne mes esprits, il a dérapé sur mes lèvres closes. Loupé ! Il recommence. Cette fois je joue mécaniquement le jeu. Et je plonge dans ce baiser sans crier gare. Il embrasse extraordinairement bien, tout en douceur, mais sans mollesse. A un moment je suis appuyée contre le mur, à un autre il me serre dans ses bras et dit que ça lui fait du bien, puis recommence à m’embrasser, et nous sommes totalement synchrones. Jamais il me semble avoir été si troublée par un seul baiser. Le Golden Boy est battu. Dois-je imputer cela à l’alcool, à l’absence de relations qui m’ont réellement touchée depuis des mois ? Toujours est-il que le désir est là, bien réel et que cela faisait longtemps que je ne l’avais pas ressenti si violemment. Et pourtant je suis agacée par cet homme qui continue à parler, trop fort de surcroît. Tout à coup je devine son sexe qui bondit à travers d’épaisses couches de vêtements. Loin de se démonter, il se déclare « plein de désir ». Ouh là, il faut que je m’échappe, vite. Je le trouve agité, ingérable. A une autre de ses saillies, je lui dis sèchement « tu as un comportement d’ivrogne, tu m’embarrasses devant mes voisins ». Il est comme un petit garçon qu’on vient de prendre en faute, il balbutie qu’il ne savait pas… je m’échappe dans l’ascenseur et je joue la consternation.
Je reçois ce SMS juste après l’avoir quitté :

L’ivrogne te souhaite la plus douce des nuits (…) et te promet que le prochain diner se fera aux sushis et au thé sans alcool si tu le veux bien !

Je suis incapable de dormir en raison d’un mal de tête que j’impute à l’alcool. Je me repasse sans arrêt le film inattendu de ce baiser, par lequel l’Homme marié a réussi à planter en moi un besoin pas encore totalement formulé, celui de recommencer…

(A suivre)

11 Responses to “Celui qui n’était pas libre de répondre à mes désirs (5) Splendeur …”

  1. Jeanchris Says:

    Bravo tu n’as pas succombé à la tentation de la chair et réussi à me troubler, je suis impatient de savoir si tu résisteras encore longtemps et surtout de découvrir le détail qui tue (ou sauve) dans ta tenue de tentatrice :)

  2. Dictée Magique Says:

    “Et je plonge dans ce baiser sans crier gard”

    Je corrige juste la faute : gare et non gard…Mais j’attribue cela à une inattention de ta part ;-)

  3. Saskia Says:

    Corrigé, merci!

  4. Olga Says:

    Pour ne pas céder à la tentation, je prends bien soin de ne pas m’épiler les jambes avant le dit-rendez- vous et de mettre une affreuse culotte de grand-mère. Chacune son truc!

  5. Jack Frost Says:

    On dirait le dernier film français chiant, Un baiser s’il vous plaît d’Emmanuel Mouret. Tout bascule donc avec le baiser.
    En conséquence, je pense qu’il faudrait inverser le rituel du rendez-vous galant et commencer par s’embrasser, comme ça on saurait tout de suite à quoi s’en tenir, et ça pourrait économiser beaucoup de dîners mortels d’ennui…

  6. Meg Says:

    “un peut trop”

    Encore une faute ! Toi qui n’apprécies pas celles des autres… ;)

  7. Tqu Says:

    Il parle trop fort, il mange trop vite, il pète trop fort il rote trop haut…
    Là n’est pas l’essentiel, rien que de petits détails.

  8. Saskia Says:

    @ Jeanchris - merci! mais je ne pense pas que tu te poses les bonnes questions, tu verras.

    @ Jack Frost - Merci pour ton commentaire, c’est le seul qui a un contenu. Tu as lu dans mes pensées, j’avais l’intention de citer ce film, qui m’a beaucoup plu, dans la suite de l’histoire. Bah je le ferai quand même, c’est bien aussi de partager.
    Bon, sur ta boutade: le baiser est bon aussi quand il arrive précédé d’une envie. Certes, il me surprend, mais…

    @ Meg - C’est ce qui s’appelle l’arroseur arrosé. Profite!

    @ Tqu - Et toi tu fais quoi ?

  9. Tqu Says:

    @Saskia: Pfff ! Facile derrière un écran d’ordi ! De toutes façons tu as pour doctrine de ne pas rencontrer tes lecteurs, pourtant la qualité de certaines interventions montre des personnes intéressantes.
    Quant à moi: Je ne fais rien de tout ça si cela peut te rassurer…

  10. Saskia Says:

    @ Tqu - Qui se cache derrière son écran d’ordi? Moi? Tu as raison, je suis bien moins exposée que toi dans l’affaire.
    Et donc, tu as lu le post “lecteur mon amour ma béquille” ainsi que la série sur l’Homme marié, et tu en déduis que j’ai pour “doctrine” de ne pas rencontrer mes lecteurs. Intéressant effectivement.
    Me voilà bien rassurée, mais non, je ne souhaite pas te rencontrer pour autant.

  11. Tqu Says:

    @Saskia : Effectivement j’ai zappé “lecteur mon amour ma béquille” (desolé pour cet “écart”), néanmoins notre niveau d’exposition est le même pour l’instant, sauf si tu fais preuve d’un peu d’imagination auquel cas je serais nettement plus exposé que toi.
    Te voilà rassurée, tu ne souhaites pas me rencontrer, ni coucher ni…Enfin, qui vivra verra !!

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